DISCOURS sur L’ÉSOTÉRISME MAÇONNIQUE par J.E. MARCONIS DE NÈGRE

KNEPH ÉSOTÉRISME

Un grand poète, l’une des gloires du siècle d’Auguste, et qui, par son génie, fut jugé digne des faveurs de l’initiation, Virgile, voulant consacrer dans le sixième livre de son immortel poème quelques-uns des rites des mystères égyptiens, au moment d’aborder ces révélations redoutables, pour détourner de sa tête les malédictions fulminées contre les divulgateurs des secrets de l’initiation, s’écrie : O dieux ! dont l’empire s’étend sur les âmes, ombres silencieuses, impénétrable chaos, Phlégéton aux ondes dévorantes, lieu sur lequel plane, au loin, le silence de la nuit, qu’il me soit permis de raconter ce que j’ai entendu sous votre puissante protection, qu’il me soit pardonné de révéler des choses plongées dans les profondeurs de l’abîme et environnées de nuages mystérieux.

Je n’ai point à former de pareils vœux, mes illustres Frères, je n’ai point à solliciter un pareil pardon ; l’auditoire éminent, au milieu duquel ma voix se fait entendre, me dispense de ces ombrageuses précautions. Environné des lumières les plus éclatantes de l’Ordre, en présence de ce Sénat auguste, si un sentiment de regret se fait jour dans mon âme, c’est d’être moi-même si peu à la hauteur du sublime sujet que je suis appelé à traiter et du savant auditoire qui daigne m’honorer de son attention.

Un philosophe grec, après avoir parcouru l’Égypte et visité les principaux sanctuaires de la science, rapporte qu’un des points capitaux de la doctrine des prêtres était la division de la science sacrée en exotérisme ou science extérieure, et en ésotérisme ou science intérieure.

C’est par ces deux mots grecs qu’il traduisait les deux mots hébraïques dont, comme on sait, il était interdit de se servir hors du temple.

Esotérisme et exotérisme

Les prêtres, ajoute-t-il, ne sont prodigues d’aucune partie de leur science ; de longs travaux, de profondes études, de rudes épreuves sont imposés au néophyte pour arriver au moindre degré de l’exotérisme ; quant à l’ésotérisme, ils sont plus sévères encore : nul secours, nul conseil, nul encouragement n’est donné à celui qui veut y pénétrer. C’est par la force seule de son esprit et l’inspiration divine qu’il doit y parvenir ; ce sont des mystères dans des mystères, et il arrive fréquemment que les prêtres, les plus haut placés en dignité, ont à peine fait un pas dans la partie mystique de la science sacrée.

La statue d’Isis, toujours voilée même pour les hiérophantes, le sphinx accroupi à la porte du temple, dans l’attitude du repos et du silence, étaient les deux emblèmes de ces derniers secrets ; et cette conduite des mystères était dictée par la sagesse. Le despotisme des hommes forts, des violents, s’étendait sur toute la terre. Qui ne comprend dès lors que les dépositaires des titres primitifs de la grandeur humaine, de sa dignité sublime, de son égalité devant la créature, devaient cacher ce trésor, et ne le communiquer qu’à ceux que de longues épreuves en avaient fait juger dignes ?

Le christianisme fit faire un pas immense à l’humanité ; exaltateur des mystères, il en a popularisé la partie morale, et dès lors la tâche de la philosophie fut moins difficile : ses voies étaient aplanies, elle put être plus explicite dans ses enseignements, car le christianisme avait forcé les puissances à reconnaître le fait comme le droit de la discussion religieuse et de l’enseignement des intelligences ; l’esprit humain, par la force d’expansion qui lui est naturelle, fit le reste, et la liberté de pensée fut proclamée.

C’est grâce à ce progrès qui, dans un sens très réel, nous place dans une position bien meilleure que celle des philosophes de l’antiquité, qu’il nous est permis, sans nous mettre en opposition avait nos augustes traditions, de soulever, en partie, le voile de la maçonnerie, mais sans toutefois le déchirer entièrement ; car si nous n’avons plus à craindre les irruptions de la force brutale dans le domaine de la pensée, nous ne pouvons sans crime expose aux légèretés de l’irréflexion, au mépris de l’ignorance, aux fausses interprétations de la mauvaise foi, aux préventions du fanatisme, un ensemble de connaissances qui demandent, pour être appréciées, en esprit attentif, préparé, un cœur pur indépendant, ne cherchant que la vérité et la justice.

Montrons donc le but, montrons-le sans crainte ; proclamons-le dans nos Loges, comme au milieu du monde ; annonçons-le à nos Frères aussi bien qu’aux profanes ; car il est noble, il est sublime, en faisant de l’humanité un peuple de Frères, de réunir dans la charité ceux que l’intérêt divise, et de faire voir un ami à serrer sur son cœur dans l’ennemi sur qui se dirigeait le glaive homicide.

Quant à la science, qui est le moyen pour arriver à ce but admirable, procédons avec sagesse ;  » nul n’est digne de la science  » disent nos traditions  » qui ne l’a conquise par ses propres efforts.  » Sur ce point soyons un peu plus condescendants que nos maîtres sévères ; montrons de loin cette science, et s’il nous est interdit de la révéler à celui qui n’a pas, comme Josué, ceint l’épée des forts pour rentrer dans la Terre promise, transportons au moins le néophyte sur la montagne d’où on peut la découvrir. Peut-être, enflammé d’ardeur à cette vue, il travaillera à mériter de faire partie de l’armée des Elus.

L’ésotérisme maçonnique embrassant le cercle tout entier de l’activité de l’âme humaine : toute science, tout art, toute pensée trouve son cadre, son poste, son rang ; seulement, négligeant la partie élémentaire et pratique, l’ésotérisme n’embrasse que la partie transcendante et métaphysique ; laissant à l’exotérisme l’esprit qui dispose, le talent qui exécute, il ne se réserve que le génie qui crée.

Trois cycles, unis dans un ordre mystérieux, se correspondant par une chaîne indivisible, et s’engendrant réciproquement d’une manière ineffable, forment le temple mystique.

Le premier peut s’appeler, pour les profanes, le Cycle historique ; il se compose de trois degrés, dont la série philosophique embrasse le développement social de l’humanité tout entière et de chaque peuple en particulier, dans trois périodes symboliques, qui sont toute l’histoire : la Sociabilité, la Famille, la Liberté.

Les 9 Muses

Le second est le Cycle poétique ; les neuf Muses, gracieuses filles de l’Imagination, soutiennent la guirlande sacrée qui le couronne ; les colonnes de son temple, du plus éclatant marbre de Paros, portent d’ingénieux emblèmes consacrés à la gloire des enfants de l’harmonie et de la fantaisie aux ailes d’or ; les trois Grâces, au maintien noble et décent, veillent à l’intérieur du temple, artistes inspirés, dont la toile ou le bloc nous transmettent les sublimes inspirations. Savants profonds qui lisez dans les cieux la puissance de Dieu, ou dans les entrailles de la terre, les ressources infinies de l’Arch? des mondes ; poètes aux rêves inspirés, votre place est marquée dans le temple ! Le cygne aux ailes argentées traverse le fleuve d’Oubli et, à travers mille obstacles, il va attacher vos noms au fronton du temple de l’immortalité !

Et vous aussi ne viendrez-vous pas, habiles interprètes des conceptions du génie, vous dont les pas tracés par les Grâces, dont la voie modulée par la déesse de l’harmonie portent dans nos émotions inconnues, et qui nous faites vivre dans un monde plein de poésies ?

Pourquoi nous repousserions-vous du temple de l’art ? Euterpe, aux doux accents, Terpsichore, à la démarche divine, vous appellent ! Tous, vous apprendrez qu’au-dessus de l’art terrestre il y a un art céleste ; vous vous expliquerez alors, peut-être pour la première fois, ces éclairs qui sillonnent vos nobles âmes et illuminent des régions lointaines ; la voix intérieure qui vibre au-dedans de vous sera intelligible ; vous comprendrez le Dieu qui vous agite.

Mais recueillons-nous ! chassons ces trop séduisantes images. Grèce poétique, éloigne-toi ; loin de nous tes gracieuses théories, tes chœurs de danse, le pinceau d’Apèles et le ciseau de Phidias ! Nous allons demander aux sanctuaires de Brahma, à l’Inde mystérieuse, rêveuse, philosophique, à l’Inde institutrice de l’Égypte, comme l’Égypte fut l’institutrice du monde, ses grands secrets, les secrets par excellence, la science divine de Brahma.

Nous entrons dans le Cycle philosophique. Sur l’autel trois feux mystérieux et emblématiques sont allumés ; trois sacrifices vont être accomplis. Sage Brahmane dont les cheveux ont blanchi à l’étude de la vérité, explique-nous ces trois feux et les trois sciences qu’ils représentent : nous voyons le feu des cérémonies journalières, le feu du foyer domestique, le feu des sacrifices ; mais leur signification nous reste inconnue. Homme infirme et courbé vers la terre, dit le sage Brahmane, pourquoi m’interroger sur les sciences les plus sublimes ?

Au trois mystères, je répondrai par trois mystères : L’homme est corps, âme et intellect ; réfléchis, et pourtant si ces recherches profondes, t’effrayent, neuf cieux sont décrits sur la voûte symbolique du temple, tu peux les parcourir ; neuf puissances célestes y président tu pourras prendre place au milieu d’elles si tu sais t’en rendre digne. La volonté intelligible habite le premier, la parole sympathique le second, l’esprit organisateur le troisième, la puissance qui crée la soumission le quatrième, l’énergie sociale le cinquième, le gouvernement des peuples le sixième, la domination des intelligences le septième, le génie qui découvre la vérité le huitième, le sage qui pense et vit en Dieu occupe le neuvième et se repose éternellement au pied du trône de Brahma.

Telles sont, mes Frères, autant qu’il m’a été permis d’être clair, les grandes masses de la science ésotérique ; en dire davantage serait prévarication, en avoir autant dit est peut-être imprudence, mais cette imprudence me sera pardonnée, car c’est le pur amour de la propagation de la vérité ; c’est pour répondre, autant qu’il peut-être permis de le faire, aux téméraires et aux insensés qui, à peine sur le seuil de la Maçonnerie et persuadés que tout est dans les symboles extérieurs qui frappent leurs yeux, se retirent, disant avec dédain : nous  avons regardé dans les profondeurs de la science, et n’y avons trouvé que le vide.

Téméraires et insensés ! Vous n’avez pas seulement soulevé le premier voile de la statue mystérieuse d’Isis, la courtine du temple d’Apollon est restée silencieuse pour vous. Allez, ne blasphémez pas ce que vous ignorez !

Marconis de Nègre

Le rameau d’or d’Eleusis, (Extrait).

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