Si je vous pose la question de savoir d’où vient la position assise que nous adoptons lors de nos Tenues, que me répondrez-vous ?
Qu’il s’agit d’une imitation car les frères et sœurs font de même ? Que peut-être en poussant plus loin vos recherches vous l’avez lu ? Oui mais où ?
Je tenterais de répondre par une autre question : Quel est donc le rapport entre cette position corporelle et le silence intérieur ?
Dans ce but, nous décrirons d’abord cette attitude pour mieux l’étudier afin d’en déterminer les effets, la pratique. Puis, je décrirai également une partie de mon vécu de celle-ci. Jeune Apprenti, j’avais été surpris de voir l’assise que prenaient les Frères et Sœurs dans nos Loges égyptiennes, appelée aussi l’assise pharaonique en référence aux colosses de pharaon assis, tels que l’on peut en voir au musée du Caire. Cette position corporelle ne fait pas partie des signes d’ordre, pourtant elle me semble véritablement essentielle de par son lien avec le grand passage à l’Orient éternel…En effet, nous nous positionnons ainsi lorsque le Vénérable Maître nous dit: « Je vous demande de laisser les métaux à la porte du temple et de faire en vous même le silence intérieur…. ».
Voyons d’abord cette position :
– Le tronc est perpendiculaire aux cuisses ;
– Les bras et avant-bras posés sur les cuisses, coudes proches des flancs ;
– Les cuisses perpendiculaires aux jambes ;
– Les jambes perpendiculaires aux pieds ;
Nous avons donc une triple perpendiculaire où chaque partie du corps, correspondant à « nos cerveaux », est séparée intentionnellement, où chaque articulation de nos membres est à son maximum de repos et les muscles afférant à leur maximum de relâchement.
Le dos est parfaitement droit jusqu’à l’occiput et permet un empilement correct de vertèbres permettant un alignement vertical, effaçant ainsi notre lordose et notre cyphose (nos courbures dorsales). La rectitude correcte de notre arbre de vie, notre colonne vertébrale, soutien unique de l’ensemble du corps, est ainsi atteinte. Dans cette attitude, l’idéal est d’avoir la totale horizontalité du regard permettant de positionner son cou dans le prolongement de la colonne et un port de tête très précis permettant à la respiration de s’épanouir encore plus vers le cerveau et principalement en dessous du cerveau vers notre « cerveau olfactif » que certains ont appelé « corne d’Ammon » en relation directe avec l’attention et le discernement (exemple : vous avez forcément été bien enrhumé un jour, et à ce moment disposiez-vous de la pleine réactivité de discernement, d’attention de votre cerveau, de votre volonté ?). Cette partie est aussi en relation directe avec nos phénomènes émotionnels. Autrement dit, plus notre position corporelle suit ces règles, plus je peux respirer en développant mon attention et maîtriser mes phénomènes émotionnels …
Comme une pierre
Cette attitude posée, et aux mots du vénérable maître, nous luttons, utilisons notre intention en un effort conscient pour faire en nous-même le silence intérieur. Cette phrase nous apparaît d’abord comme un leurre, une contre-vérité ! Comment faire le silence intérieur en 3 minutes après une énorme journée de boulot et de stress, l’esprit totalement accaparé à des occupations profanes ! D’autant que cette maîtrise posturale de notre appareil locomoteur, cette quasi-immobilité va susciter en nous une véritable hémorragie nerveuse. Ce que ne dit pas cet ordre, c’est simplement que le silence intérieur ne vient que si on prolonge cette attitude pendant la totalité de la tenue de notre rite (tenue, tenir…). Pourquoi ? Simplement parce que le silence intérieur passe par la détente, celle du corps en premier afin que l’esprit se détende ensuite. Ainsi, par cette tenue du corps, nous décontractons consciemment et inconsciemment nos quatre membres par segments, nous nous délestons consciemment de notre pesanteur, de notre métal corporel, nous reposons alors sur les os du bassin sans effort et notre diaphragme peut monter et descendre afin de masser nos organes, au fur et avec mesure, la détente arrive… Dès lors, je me sens compact, presque pétrifié pour reprendre l’expression de Campanella (1) ou d’Arturo Reghini (2), je suis comme une pierre, c’est comme si j’étais presque mort, le corps immobilisé et l’esprit un minimum présent. Je n’ai plus de spasmes musculaires et nerveux, une douce chaleur envahit mes membres et je sens mon visage qui se détend imperceptiblement, le masque s’en va, parfois même, ma bouche change de goût et mes sécrétions salivaires sont différentes, mon esprit est prêt, attentif. Avec attention et discernement, je peux travailler en conscience puisque c’est bien par elle que je tente de me relier au divin…
C’est ici que d’autres cases noires se présentent. Cette douce chaleur peut favoriser mon endormissement et la fatigue de la journée aidant, je dois lutter avec force et vigueur pour être attentif, être cette attention même, lucide sans lassitude et précis sans rêveries, puisque je participe aussi à un rite maçonnique hermétique dont l’un des objectifs est de générer en moi des impulsions de conscience afin de réaliser le Grand Œuvre.
Rester conscient
Une fois cette nouvelle victoire acquise, je dois donc faire attention au rituel ; dois-je me laisser emporter par lui comme cela m’est arrivé et m’arrivera encore, et perdre ainsi le bénéfice de cette position ? Ou bien y participer autrement de manière plus active en ne sélectionnant que les impulsions qui parlent à mon être vrai seulement accessible en ces conditions de corps et de conscience ? Aussi, soyons plus exact, et osons une image puisque nous sommes dans un rite hermétique. Ce serait celle d’un vase clos volontairement dont le génie intérieur déciderait ce qui pourrait passer dans le filtre du bouchon. Ce qui passerait avec autorisation du génie, ce sont les impulsions de notre conscience, autrement dit, ce sur quoi notre être vibre par analogie aux phrases du rituel, aux symboles, à l’ambiance au milieu dans lequel on est ; or, c’est à chaque fois différent car cela dépend aussi de là où nous en sommes et de ce que nous sommes à un instant donné. Ainsi, ces impulsions ne sont dès lors ni plus ni moins que des informations d’une nature si subtile qu’elles ne peuvent nous atteindre que par le biais du symbolisme vivant et de l’analogie. Je suis conscient de tout ce qui est extérieur à moi et conscient de tout ce qui est intérieur, interne… Le rapport conscient entre ces deux aspects de ce que je vis m’oblige à la maîtrise afin de rester conscient, du double aspect externe-interne, je deviens aussi triple par cet acte de maîtrise. En prenant cette position, je suis rentré en moi-même, en érigeant ma colonne vertébrale, j’ai pu descendre en ma terre, mes ténèbres, mon corps et beaucoup plus… : « Visita interiora terrae rectificando occultum lapidem » ; visite l’intérieur de la terre et tu trouveras la pierre cachée, véritable médecine. Le but de ma réalisation est bien hermétique, elle a bien lieu en mon intérieur, après m’être isolé de l’extérieur… et n’y participe pas qui veut !
Alors maintenant, quel est donc le lien ténu entre cette position corporelle et le silence intérieur ? Ce rapport est celui du message symbolique de notre initiation maçonnique hermétique, dans lequel nous vivons ce que nous pourrions vivre post-mortem, une certaine forme de pérennité de notre âme-conscience… « Monsieur, Madame, s’initier c’est apprendre à mourir ! » Il n’est pas question ici bien sûr de faire l’apologie de la mort et de la rechercher, mais en tant qu’être humain conscient inscrit dans une démarche spirituelle, cette question est et reste essentielle à tout cherchant. En effet, ce travail du silence intérieur par cette position corporelle, favorise la ressemblance avec nos tous derniers instants de vie durant lesquels notre corps n’est presque plus, nous nous sentons comme
« pétrifié » tel une pierre, masse inerte. Ce travail nous oblige ainsi à maintenir notre conscience alerte, en éveil. Rappelez-vous votre initiation, le message de cette praxis y est sans arrêt présent et divulgué sous forme de mythe et de paroles et de bien d’autres éléments… Ainsi, nous pouvons aisément compléter la phrase de notre rituel précisant que : « Si l’âme de l’homme est la terre naturelle du verbe », alors par analogie le corps de l’homme est la terre matricielle du silence et son esprit est la terre cultivée de la conscience !
Antares
1. ARTURO REGHINI, Ur et Khrur, éditions Arché milano
2. CAMPANELLA, La pratique de l’extase philosophique DE SAMBUCY, Yoga égyptien et iranien, éditions Dangles
Conférences de MARIO BEAUREGARD
3 Commentaires
Gérard Baudou-Platon
12 juin 2020 at 12 h 20 minBelles références … et très bon texte ….
Le Dr Desambucy fut, pour moi, d’une efficace influence … il me traita avec un intelligent savoir faire par manipulation vertébrale … il est en effet auteur d’un livre (sur le Yoga Irano-Egyptien) qui doit faire partie de toute bibliothèque pour tout chercheur (particulièrement dans le champ de la sagesse orientale) … Sa relation avec le Dr Hanish lui a permis de traiter de façon scientifique l’usage du soufle … outre le Dr de Sambucy … trois autres personnages ont été importantes dans l’appropriation du subtil par la voie kundalienne et des énergies : Platon, le Karuna (la nouvelle lettre à un ami sur le chemin de la vérité) … Alexandre (le fils de André Barbault, l’éminent Astrologue historique) … et pour sa transposition en Franc-Maçonnerie Edmond Fieschi. lequel,,pour des raisons d’immaturité évidente, n’était pas favorable à une immersion de cette science au sein de nos cénacles. Je pense, que cela vaut la peine d’essayer dans la FM, dans ses fondements, dans son éthique, et dans sa démarche contient les germes d’un taoïsme pratique et spirituel transposable en occident … Quand à la position du bouddha en méditation .. je confirme que seule cette position répond aux exigences techniques et spirituelles nécessaire pour obtenir les « lâcher-prises » nécessaires fin de permettre le moindre éveil … cela se passer dans le silence du « Moi » et le silence de « Soi » … en effet seul cette position assure une verticalité la plus parfaite de la colonne vertébrale (trait d’Union entre Ciel et Terre) et notamment la réduction de cambrure du bassin … par contre voilà une mission quasi impossible pour la plus part des occidentaux (d’où l’utilisation de certains palliatifs !!! Ayant maîtrisé l’équilibre le plus parfait possible de notre « être de densité la plus haute » … le travail sur le souffle, sur la maîtrise de la pensée, l’accès à la vacuité n’a plus d’entrave … le champ de l’accès à la conscience être envisagé (les formes de cet accès se constituent en fonction de la nature même de chacun car notre structuration et bien individuelle et non collective) …. voilà une belle introduction à nos 87ième degré du cycle des Arcanas … …
Antares
12 juin 2020 at 16 h 04 minMerci Mon TCF Gérard, merci pour ton commentaire.
Les livres de De Sambucy sur le Yoga iranien sont effectivement pour moi des « must have », dommage qu’il fût pas reconnu assez pour ses travaux; il avait une approche pragmatique et « Artisanale » de son métier, il a su à partir des outils du menuisier les transposer sur le travail de la colonne vertébrale et en faire sa voie. Quant à Hanish…ayant moi-même pratiqué une certaine voie soufie et derviche iranienne, nous sommes vraiment dans pratiques zoroastriennes d’eveil du feu intérieur….
Uriel
24 avril 2020 at 18 h 15 minCette posture fait penser à celle de Bouddha méditant. Nous la retrouvons de façon innombrable en Inde et en Chine. Le Bouddha est assis par terre, les jambes croisées pour garder la colonne vertébrale droite. Le menton est légèrement rentré de façon à ce que le regard soit droit. Les bras longent le corps et se superposent dans une offrande du ciel à la terre. Les yeux sont fermés. Le corps est totalement détendu. Le regard est tourné à l’intérieur de soi, en un point très précis où nous pouvons le mieux sentir le souffle. Peut être dans le nez, peut être dans la gorge, peut être entre les yeux. Nous ne jugeons pas les multiples pensées qui nous divertissent. Et nous ramenons notre attention à chaque fois sur ce point à l’intérieur de soi où nous sentons l’air qui entre et l’air qui sort. Nous sommes concentrés et conscients. Nous ne portons pas de jugement. C’est l’ici et le maintenant. C’est la paix, la sérénité, le vide, l’éternité. Nous sommes la pierre à l’état brut. Nous sommes reliés à notre divinité.